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Erreurs d’interprétation et stratégies irresponsables en politique

Le clivage droite-gauche est-il dépassé ?

Le débat politique pré-électoral tourne autour de quelques questions qui reviennent en boucle : la disparition des grands partis, le sabordage des Républicains, l’islamo-gauchisme, quelle place laisser à E. Zemmour, etc. La problématique d’interprétation, que ce soit par les journalistes ou les politiques, est presque toujours la même, à savoir la dichotomie droite-gauche, avec ses nuances extrêmes. Ainsi, on qualifie le polémiste Zemmour d’extrême droite, X. Bertrand serait de centre droit ; V. Pécresse serait plus à droite que lui. Quelle pauvreté d’analyse. Inscrire tous ces gens et tout ces thèmes sur un seul axe allant de l’extrême droite à l’extrême gauche relève d’une grande pauvreté intellectuelle, mais également d’une médiocrité dans l’analyse politique. Plus grave : l’absence de compréhension de la situation politique actuelle par la plupart des acteurs majeurs (ou qui se veulent tels) risque de se traduire par des stratégies mortifères, pour eux, leur parti, leur pays. Il faut changer de logiciel d’analyse pour ne pas se battre contre son propre camp.

 

Il faut changer de logiciel d’analyse

 

            Pour y voir plus clair[1] et mieux comprendre les enjeux, notre diagnostic est simple : il manque des facteurs explicatifs. Il faut donc ajouter, au minimum, une classification supplémentaire, celle qui fonctionne dans les pays anglo-saxons, mais qui était aussi celle de l’Europe du XVIIème au XIXème siècle, celle également de la Révolution française, et qui oppose les conservateurs et les libéraux, aux sens à la fois économique, sociétal et politique de ces termes. Notons que l’appellation « libéral », trop ambigüe dans la vision française actuelle, gagne à être remplacée par d’autres assez proches (progressiste, démocrate, réformiste, moderniste, voire humaniste). Nous retiendrons le terme progressiste pour synthétiser ces qualificatifs. Cette distinction est totalement différente de la dichotomie droite - gauche, même si beaucoup confondent les deux et en gomment alors les spécificités. La vie politique actuelle n’est pas (plus) explicable en termes de bipolarisation, elle l’est désormais en termes de bipartition selon deux axes : l’un, en voie de régression, qui oppose la droite et la gauche, l’autre qui s’impose en distinguant les conservateurs des progressistes et qui devient le premier axe de référence.

            Précisons ces distinctions. L’ancien axe droite-gauche est fondé sur une opposition de valeurs entre d’une part, à droite, l’ordre, l’élitisme, le légalisme, la sécurité, la patrie, la responsabilité, la justice punitive, et d’autre part, à gauche, l’égalité, la défense des faibles, la solidarité, les revendications sociales, l’État providence, la justice réparatrice. Le nouvel axe progressiste-conservateur, qui ne doit pas être réduit à une simple alternative d’ordre économique, renvoie à une toute autre dichotomie entre d’un côté le marché (dans sa version régulée), la concurrence (dans le respect des lois et règlements), la liberté d’entreprendre, mais aussi la liberté des mœurs et la tolérance, l’internationalisme, le progrès économique et social, la responsabilité sociétale et environnementale  (RSE) des entreprises, la défense de l’environnement, et, de l’autre côté, le nationalisme, le corporatisme, le populisme, l’État régalien, la religion, la hiérarchie, les avantages acquis, le souverainisme, la famille, la tradition, les valeurs du monde rural. Le libéralisme économique (mais pas politique) appartient souvent au camp conservateur, mais pas toujours. Il existe des libéraux, du point de vue économique, dans les deux camps, mais pas pour les mêmes raisons. Chez certains progressistes, le libéralisme est une des sources possibles du progrès ; alors que pour les conservateurs, c’est le fondement du retrait de l’État de la sphère économique ; dans la version anti-fiscaliste, on retrouve alors le poujadisme.

            L’analyse est ainsi non seulement plus pertinente et actuelle, mais elle est aussi plus nuancée et plus précise. Par exemple, le clivage droite-gauche ne permet pas de situer correctement la place des mouvements islamistes dans la sphère politique, alors que la référence au conservatisme les qualifie parfaitement comme « islamo-conservateurs ». Des nuances droite-gauche peuvent être ajoutées, mais dans ce cas, elles restent secondaires. En revanche, les grands partis anglo-saxons s’analysent au mieux grâce à l’approche en bipartition.  Il y a une opposition droite-gauche à l’intérieur de chacun des deux camps, comme on le constate aux États-Unis. Trump représente l’aile droite du parti républicain (conservateur), Bernie Sanders, l’aile gauche du parti démocrate où Joe Biden occupe une position plus centriste, comme Barack Obama. Mais chacun est dans son camp et ne se trompe pas d’adversaire.

Ne pas se battre contre son propre camp

            Prenons l’exemple d’une stratégie simpliste : le candidat qui se considère à droite éliminera tout ce qui se trouve plus à gauche en ménageant les formations les plus proches (dans cette optique) ; de même, un candidat étiqueté à gauche se battra principalement sur sa droite. C’est la stratégie habituelle dans une élection à deux tours, surtout lorsque deux candidats seulement sont qualifiés, comme pour la présidentielle. Cela a fonctionné ainsi pendant des années en France, surtout parce que deux grands partis dominaient la vie politique et qu’ils avaient pris la précaution de rassembler leurs « amis », mais néanmoins concurrents potentiels, dans une même formation (UMP[2] par exemple) ou un accord (union de la gauche). Que se passe-t-il si la vie politique se complexifie et se modernise, si de nouvelles valeurs apparaissent ou de nouvelles revendications ? Un nouveau système de référence s’impose ; certains le comprennent, l’anticipe même ; d’autres ne font que regretter les temps anciens en espérant vainement leur retour. Emmanuel Macron a été le premier homme politique à s’intégrer dans le nouveau système en émergence. La référence « en marche » renvoie clairement au progressisme. Les autres n’ont pas compris et raillé, sauf, plus récemment, Eric Zemmour, qui a pris la place alternative, celle du conservatisme. Il le revendique clairement, le 26 septembre, il déclare : « les valeurs de la droite conservatrice, ce sont mes valeurs ». On ne saurait être plus clair. Ce n’est pas un candidat d’extrême droite, c’est le porte-parole de la tendance droitière du conservatisme. C’est un ultra-conservateur, capable de regrouper tous les conservateurs contre un candidat progressiste. Et capable de gagner si, en face, les progressistes ne comprennent pas qu’ils sont dans le même camp.

            Beaucoup ne l’on pas compris. Le récent ouvrage de François Hollande, dans lequel il règle ses comptes avec son ancien ministre de l’économie, témoigne de la myopie politique de son auteur.  Anne Hidalgo est plus mesurée, mais son début de campagne confirme que le parti socialiste est en train de rater sa mutation contrairement aux autres partis sociaux-démocrates européens qui ont retrouvé le pouvoir. Quant au parti Europe Ecologie les Verts (EELV), pourtant au cœur d’une vision progressiste moderne, il sert surtout à recycler des ambitions personnelles sans véritablement comprendre les enjeux majeurs dont il est porteur au sein du camp progressiste. La France Insoumise (LFI) et Jean Luc Mélenchon ne se retrouvent pas dans cette nouvelle configuration, le parti communiste (PCF) non plus. En revanche, la droite progressiste a, semble-t-il, intégré le nouveau référentiel et plusieurs de ses membres, à l’exemple de François Bayrou ou de Bruno Le Maire, ont rejoint leur nouvelle équipe.

            Il faut choisir son camp, même si tout n’y est pas parfait. Les premiers qui auront compris gagneront, les autres disparaîtront.  

             

 

 

 

 

[1] Notre interprétation actuelle s’inspire de celle déjà présentée dans ce blog en mai 2017, à laquelle le lecteur pourra se référer.

[2] Union pour la Majorité Présidentielle

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